readers on the storm

Publié le par Christelle

Moi aussi j'aimerais bien être capable de parler avec les chats.

Kafka sur le rivage est un superbe roman, totalement inclassable, splendidement délirant et en même temps résolument terre à terre.

J'ai trouvé en la personne d'une copine et presque voisine un nouveau filon pour la littérature étrangère. C'est elle qui, déjà, m'avait prêté des romans indiens, dont Le dieu des petits riens qui est une sacrée claque.

Avec Kafka sur le rivage nous faisons escale au Japon. Kafka est le pseudonyme choisi par un adolescent qui, le jour de son quinzième anniversaire, fugue de chez son père. On ne sait pas réellement pourquoi, juste que la vie lui est insupportable auprès de lui, et qu'il est question d'une prédiction. Il rêve de trouver refuge dans une bibliothèque, à l'autre bout du pays.

En parallèle nous est rapporté sous la forme de comptes-rendus d'interrogatoires un incident qui a eu lieu pendant la Seconde guerre mondiale : lors d'une sortie en forêt, tous les élèves d'une classe d'école primaire ont été victimes du même malaise. Ils se sont évanouis quelque temps et sont revenus à eux sans séquelles et sans souvenir de ce qui s'était passé, sauf un qui est resté dans le coma longtemps, avant de se réveiller stupide, comme si son cerveau avait été vidé de tout son contenu.

Suite à ce compte-rendu, nous retrouvons le garçon en question dans sa vie d'aujourd'hui. Il s'appelle Nakata, est un vieil homme qui mène une existence modeste dont tous les jours se ressemblent. Déficient mental, il ne sait pas lire, a du mal à s'exprimer et ne quitte jamais son quartier, de peur de se perdre. Pour occuper ses journées, il recherche les chats perdus. Comme il est assez doué pour cela - normal, il sait parler aux chats -, on lui donne une petite pièce ou un reste de nourriture qui viennent compléter la maigre pension versée par l'Etat.

Il faut du temps pour comprendre comment ces différentes histoires vont s'imbriquer entre elles, mais pour des raisons que je ne vous dévoilerai pas ici, les chemins de ces deux personnages vont converger l'un vers l'autre, mus par l'incroyable force du destin. Le destin des tragédies grecques, celui qui a poussé Oedipe à tuer son père et à coucher avec sa mère, celui qui instrumentalise les humains. C'est peut-être là qu'on retrouve Kafka.

On y rencontre des personnages uniques comme un chauffeur routier qui abandonne tout pour suivre sa destinée et qui découvre que la musique classique peut faire pleurer d'émotion, un bibliothécaire androgyne, une femme mystérieuse qui n'a jamais cessé de vivre avec son amour défunt. On est transporté à la frontière des mondes, celui-ci et un autre, une sorte d'au-delà où le temps ne fonctionne plus et où l'on peut rencontrer les disparus. Ces deux mondes sont perméables, et de cette faille s'écoule la poésie et le mystère du roman.

Il faut se laisser porter, accepter l'invraisemblable, et surtout s'en remettre à son imagination. Car il n'y a rien de pire, selon le bibliothécaire Oshima, que les hommes sans imagination. Ceux que T.S. Eliot appelait "les hommes vides". Ce sont eux qui rétrécissent le monde. C'est par eux que les pires abominations sont possibles.  

On ne peut peut-être pas échapper à son destin, mais on peut toujours prendre le temps de lire Kafka sur le rivage. En buvant des litres de Sencha, par exemple. Ou un bon vieil Earl Grey. Ou du thé grillé.



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